L’abandon de famille est un délit créé par la loi du 7 février 1924. Cette infraction a pour finalité de sanctionner l’abstention d’exécuter durant plus de deux mois une décision judiciaire prévoyant une obligation pécuniaire familiale.
Ainsi, l’article 227-3 du Code pénal prévoit qu’est puni de deux ans d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende «le fait pour une personne, de ne pas exécuter une décision judiciaire ou l’un des titres mentionnés aux 2° à 5° du I de l’article 373-2-2 du code civil lui imposant de verser au profit d’un enfant mineur, d’un descendant, d’un ascendant ou du conjoint une pension, une contribution, des subsides ou des prestations de toute nature dues en raison de l’une des obligations familiales prévues par le code civil ».

La condamnation du débiteur de l’obligation pécuniaire nécessite donc la réunion des trois éléments constitutifs de l’infraction : un élément préalable consistant en l’existence d’un titre judiciaire exécutoire, ensuite un élément matériel consistant en défaut de paiement et enfin un élément moral, c’est à dire l’intention du débiteur de l’obligation de ne pas s’exécuter.
L’existence d’un titre judiciaire exécutoire
Pour que l’infraction d’abandon de famille soit constituée il faut qu’une personne soit tenue au paiement d’une obligation pécuniaire (1). Cette obligation pécuniaire doit figurer dans un titre judiciaire (2) exécutoire (3)
1 – Le type d’obligations pécuniaires
L’article 227-3 du Code pénal vise les « obligations prévues par le code civil ». De ce fait, l’obligation familiale en question peut avoir une nature alimentaire ou indemnitaire.
La personne doit être tenue au versement « d’une pension, une contribution, des subsides ou des prestations de toute nature » aux termes de l’article ci-dessus. Cela permet d’englober les solutions jurisprudentielles retenues. Ainsi, l’obligation pécuniaire peut consister en une condamnation de verser les subsides dues à un enfant naturel dont la filiation n’est pas établie, ou encore en des dommages et intérêts mis à la charge d’un époux au profit de l’autre. Sont également visés les pensions alimentaires entres ascendants et descendants, les contributions aux charges de mariage, contribution à l’entretien et à l’éducation des enfants, les prestations compensatoires, ainsi que les sommes qui seraient fixées par le jugement de divorce à titre d’avance sur la part de communauté (Crim. 19 oct. 1981, n°80-92.574).
Par ailleurs, l’article 227-3 du Code pénal vise expressément l’enfant mineur, ascendant, descendant et le conjoint. Autrement dit le législateur confirme que les obligations pécuniaires en ligne directe sont visées par ce texte. De ce fait, sont concernés non seulement les enfants mineurs, mais également les enfants majeures, ainsi que les petits-enfants et arrières petits-enfants du débiteur de l’obligation pécuniaire. De même, le lien d’alliance est pris en compte, mais uniquement en ce qui concerne les conjoints. Il en résulte que les frères et sœurs, ainsi que les partenaires d’un PACS sont exclus.
Le champ d’application de l’infraction est très large puisqu’il s’applique à tout type d’obligations pécuniaires prévues par le Code civil. Toutefois, pour que l’infraction soit constituée, il faut encore que ces obligations soient fixées dans un titre judiciaire.
2- Le titre judiciaire
L’existence d’un titre judiciaire est un élément préalable de l’infraction, ce titre doit clairement fixer la créance au profit de l’une des personnes visées par l’article ci- dessus. L’infraction ne peut être constitué en l’absence d’une constatation de l’obligation dans une décision. Ainsi, aux termes de la jurisprudence « le délit d’abandon de famille ne peut être caractérisé si l’obligation mise à la charge du prévenu, et dont l’inexécution lui est imputée, ne se trouve pas définie par une décision de justice exécutoire à la date des faits incriminés » (Crim. 14 févr. 1984, n°82-91.119). Autrement dit, les poursuites pour abandon de famille ne peuvent aboutir à défaut d’avoir un titre judiciaire.
Le titre judiciaire en question peut être une décision de justice, une convention homologuée par le juge, une convention de divorce ou de séparation de corps par consentement mutuel selon les modalités prévues à l’article 229-1, un acte reçu en la forme authentique par un notaire ou encore une convention à laquelle l’organisme débiteur des prestations familiales a donné force exécutoire.

Un simple accord entre les parties est insuffisant. Ainsi, il a été décidé que la condamnation ne peut être fondée sur l’inobservation d’un accord des parties tendant à faire revivre les dispositions d’une décision antérieure (Crim. 6 déc. 1972, n°71-93. 341).
3- Le titre exécutoire
Le titre judiciaire préalable doit être exécutoire soit à titre définitif, soit à titre provisoire à la date des faits incriminés. Il peut donc s’agir des décisions définitives, des décisions exécutoires de plein droit ou assorties de l’exécution provisoire.
Lorsque la décision est assortie de l’exécution provisoire, le débiteur de l’obligation pécuniaire ne peut pas se prévaloir de l’exercice des voies de recours, de la réformation ou de la modification non définitive de la décision ou encore d’un pourvoi en cassation.
La jurisprudence a précisé que « la décision fondant les poursuites pour abandon de famille ne saurait revêtir de caractère exécutoire que dans la mesure où elle peut être exécutée, le débiteur en ayant acquis légalement la connaissance par signification » (Crim. 11 avr. 1983, D. 1983. IR 400). Cependant, il est admis que la notification importe peu lorsque le débiteur de l’obligation pécuniaire s’exécute volontairement.
En ce qui concerne les décisions étrangères : celles-ci doivent être revêtues de l’exequatur. A défaut cette décision n’est pas exécutoire en France.
Le défaut de paiement
Aux termes de l’article 227-3 du Code pénal, est sanctionné le fait de ne pas exécuter une décision judiciaire mettant à charge d’une personne le paiement d’une obligation pécuniaire en demeurant plus de deux mois sans s ‘acquitter intégralement de cette obligation. Autrement dit, l’élément matériel se caractérise par le refus de paiement pendant une durée supérieur à deux mois consécutifs (Crim. 20 janv. 1993, n°92-82.638). De plus, si le débiteur, malgré une condamnation pour abandon de famille, ne s’exécute pas, le délit va se renouveler à l’issue de deux mois suivants.
La jurisprudence a précisé que le paiement partiel est insuffisant et n’empêche pas la constitution de l’infraction (Crim. 26 oct. 2005, n°05-81.053). Il en est de même lorsque le débiteur de l’obligation pécuniaire n’a pas indexé la pension. Il a également été précisé que la compensation ne peut pas être invoquée par le débiteur pour justifier son inexécution (Crim. 4 janv. 1973, n°72-91. 515)
De plus, le paiement doit obligatoirement intervenir entre les mains du créancier, à défaut l’infraction sera constituée. En effet, il a été admis que l’infraction est consommée, lorsque le père condamné au paiement d’une pension alimentaire à la mère, verse des sommes d’argent à un de ses enfants (Crim. 26 oct. 2005, n°05-81.053).

Le délai de deux mois, prévu par le texte court à compter du dernier règlement effectué régulièrement.
Lorsque le débiteur de l’obligation pécuniaire ne s’est jamais exécuté : le délai de deux mois, prévu dans le texte court à compter de la signification de la décision du juge fixant l’obligation pécuniaire, ou bien, en cas de divorce par consentement mutuel, à compter du dépôt de la convention du divorce chez un notaire.
Lorsque le débiteur de l’obligation pécuniaire s’est exécuté volontairement, alors que la décision n’a pas été notifiée : le délai court à compter du dernier versement effectué.
Par ailleurs, la jurisprudence a précisé que la modification ultérieure de l’obligation pécuniaire n’a pas d’incidence sur la consommation du délit. En effet, si le délit a été consommé, la modification ultérieure de l’obligation inexécutée importe peu (Crim. 27 mars 1991, n°90-85.870). La solution est identique que la modification soit rétroactive ou non-rétroactive.
Il en est de même en cas de caducité. En effet, la caducité n’a pas d’effet rétroactif et ne remet pas en question la constitution de l’infraction (Crim. 7 oct. 1992, n°91-85. 138). Cependant, la caducité ne se présume pas. Celle-ci doit être judiciairement constatée et elle ne peut être déduite de la reprise de la vie commune par les époux (Crim. 3 oct. 1988, n°87-82.048).
L’intention de ne pas s’exécuter
Le délit d’abandon de famille est un délit intentionnel. Dans ce cadre, il convient tout d’abord de démontrer que le débiteur de l’obligation pécuniaire connaissait l’obligation qui pèse sur lui. Ensuite, il faut démontrer la volonté du débiteur de ne pas s’exécuter.
La preuve du défaut de paiement pèse sur le ministère public et est libre, donc peut être rapportée par tout moyen.
La preuve de connaissance de l’obligation inexécutée ne pose pas de difficulté lorsque la décision a été régulièrement notifiée au débiteur, ou lorsque celui-ci s’exécute volontairement.
Il faut également démontrer qu’aucun événement, justifiant l’inexécution par le débiteur de l’obligation pécuniaire, n’est survenu. Dans ce cadre, il convient de souligner que l’erreur de droit prévue par l’article 122-3 du Code pénale peut être invoquée par le débiteur de l’obligation pécuniaire. Toutefois, la jurisprudence est très stricte sur ce point et exige que l’erreur soit provoquée par l’autorité administrative ou judiciaire.
De même, le débiteur peut invoquer l’impossibilité de s’exécuter. Cependant, il doit s’agir d’une impossibilité absolue de faire face à ses obligations, c’est à dire qu’il faut démontrer la survenance d’un événement imprévisible et insurmontable, pour que l’irresponsabilité pénale soit retenue.

Ainsi, le débiteur de l’obligation pécuniaire peut être déchargé de cette obligation lorsqu’il est dans l’impossibilité absolue de régler sa dette, du fait d’une affectation cardiaque qui prive le débiteur de ressources. Toutefois, le juge peut « refuser d’en tenir compte lorsque le prévenu manifeste un train de vie élevé provenant vraisemblablement de ressources non déclarées » (Crim. 4 sept. 1996, n°95-81.387).
La répression
1- La compétence du tribunal correctionnel
La répression du délit d’abandon de famille relève de la compétence du tribunal correctionnel. Ainsi, l’article 382 du Code de procédure pénale prévoit qu’est « compétent le tribunal correctionnel du lieu de l’infraction, celui de la résidence du prévenu ou celui du lieu d’arrestation ou de détention de ce dernier, même lorsque cette arrestation ou cette détention a été opérée ou est effectuée pour une autre cause.
Pour le jugement du délit d’abandon de famille prévu par l’article 227-3 du code pénal, est également compétent le tribunal du domicile ou de la résidence de la personne qui doit recevoir la pension, la contribution, les subsides ou l’une des autres prestations visées par cet article. »
Par ailleurs, les tribunaux français sont compétents même en cas d’extranéité du délit, lorsque le débiteur est un résident de pays étranger par exemple. En effet, l’article 113-2 du Code pénal prévoit que le délit d’abandon de famille est consommé en France, dès lors qu’un des faits constitutifs de l’infraction est commis sur le territoire français. De même, la nationalité française du débiteur peut également conduire à la compétence du tribunal français, à condition que le délit soit également incriminé dans le pays étranger en question.
2- La mise en œuvre des poursuites et les sanctions
Le dépôt de plainte permet au Procureur de la République de prendre connaissance du délit et saisir le tribunal correctionnel.
La plainte simple, puis la plainte avec constitution civile est possible, ce qui peut permettre à la victime d’obtenir la réparation du fait du préjudice consécutif au défaut de paiement. A cet égard, il convient de préciser que seule la victime ayant « personnellement souffert du dommage directement causé par l’infraction » peut se constituer partie civile.
Une citation directe devant le Tribunal correctionnel peut également être envisagée.
Concernant les peines encourues, l’article 227-3 du Code pénal prévoit que l’abandon de famille est puni de deux ans d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. La tentative d’abandon de famille n’est pas punissable. Il en va de même en ce qui concerne la complicité. En effet, la jurisprudence s’est prononcée sur cette question et a admis que « seules les personnes tenues au paiement de la créance alimentaire pourraient être poursuivies au titre de ce délit, même en tant que simples complices » (Crim. 14 oct. 1960, D. 1961. Somm. 59).
En matière de délit, la prescription étant de trois ans, la prescription de l’abandon de famille intervient au bout des trois ans.

3- L’incrimination de l’absence de notification de changement d’adresse
L’article 227-4 du Code pénal prévoit que « Le fait, par une personne tenue, dans les conditions prévues à l’article 227-3, à l’obligation de verser une pension, une contribution, des subsides ou des prestations de toute nature, de ne pas notifier son changement de domicile au créancier ou à l’organisme débiteur des prestations familiales lorsque le versement de la pension fait l’objet d’une intermédiation financière dans les conditions prévues à l’article L. 582-1 du code de la sécurité sociale, dans un délai d’un mois à compter de ce changement, est puni de six mois d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende. »
Cet article oblige le débiteur de l’obligation pécuniaire à déclarer son changement de domicile. A défaut, après écoulement d’un délai d’un mois l’infraction sera constituée. Il s’agit ici d’un délit institué afin de prévenir la commission délit d’abandon de famille. Toutefois en cas de concours d’infractions, il convient d’appliquer le principe de non cumul des peines, c’est à dire que les peines de même nature prévues pour les infractions respectives s’appliquent dans la limite du maximum légal prévu pour l’infraction la plus gravement sanctionnée.
4- Les peines complémentaires
Des peines supplémentaires sont prévues à l’article 227-29 du Code pénal. Ainsi, les personnes coupables d’abandon de famille sont privées des droits civils et de famille interdisant d’exercer des fonctions de tuteur ou de curateur, et il leur est interdit de quitter le territoire pour une durée de cinq ans au plus. Avant que la loi du 23 mars 2019 ne modifie l’article ci-dessus en abrogeant le 7°, les personnes coupables d’abandon de famille étaient également dans l’obligation d’accomplir un stage de responsabilité parentale.
La consultation d’un avocat, avant de prendre la décision de ne pas exécuter une décision de justice ayant trait, notamment, au paiement d’une pension alimentaire ou d’une prestation compensatoire doit évidemment être envisagée. La consultation d’un avocat s’impose aussi avant de prendre la décision de saisir le Tribunal correctionnel pour abandon de famille.
Le cabinet Emmanuel PARDO est à votre disposition pour toute information ainsi que pour vous assister dans le cadre de toutes procédures judiciaires destinées à faire respecter vos droits.
AVERTISSEMENT : Cet article a pour unique objet d’intéresser l’internaute sur une question juridique. Il n’a aucun caractère exhaustif et sa lecture ne saurait se substituer à l’indispensable consultation d’un professionnel du droit, tel qu’un avocat, à même d’appréhender les spécificités d’une situation factuelle.