L’insuffisance professionnelle constitue une cause de licenciement.
C’est la jurisprudence qui en a déterminé les contours au fil des situations qui lui ont été présentées.
Ainsi, il apparaît aujourd’hui, que l’insuffisance professionnelle recouvre plusieurs notions telles, notamment, l’insuffisance de résultats du salarié, son incompétence professionnelle, ainsi que son inadaptation professionnelle.
Comment définir l’insuffisance professionnelle ?
Contrairement à ce qui est généralement prétendu, l’insuffisance professionnelle ne revêt pas un caractère fautif.
La Cour de cassation l’a souvent rappelé en considérant, même, que l’insuffisance professionnelle ne peut jamais être une faute grave.
Ainsi, il peut être reconnu une insuffisance professionnelle sans que le juge ait pu constater une quelconque faute du salarié.
C’est la difficulté à laquelle est exposé l’employeur face à ce dilemme d’interprétation :
- Soit se placer sur le plan disciplinaire et faire état des agissements fautifs du salarié,
- Soit rapporter la preuve de l’insuffisance professionnelle de ce dernier ; insuffisance qui n’est pas une faute mais constitue un état de fait. (Cass. Soc. 31 mars 1998 n° 96–40.399)
L’assemblée plénière de la Cour de cassation (Cass. Ass. Plein. 6 janvier 2012 n°10–14.688) a rappelé que c’est la finalité de la décision qui permet de distinguer l’acte de gestion de la sanction disciplinaire.
Une question s’impose alors : Quelle était l’intention d’employeur ? Souhaitait-t-il punir le salarié ?
Il convient également de rappeler que le licenciement n’est pas la seule alternative au constat d’une insuffisance professionnelle d’un salarié.
Le changement des conditions de travail peut, en effet, pallier la difficulté. Aucun formalisme ne s’impose à l’employeur qui agira dans le cadre de son pouvoir de direction.
Lorsque la modification du contrat de travail (mutation ou rétrogradation) sera prévue (et non un simple changement des conditions de travail) l’employeur ne pourra agir sans l’avis de l’intéressé.
Le salarié devra se prononcer expressément tandis que la continuation du contrat de travail aux anciennes conditions ne saurait laisser présumer l’accord de celui-ci.
En cas de réponse négative, l’employeur pourra procéder au licenciement mais devra être en mesure de justifier le fait que l’insuffisance professionnelle revêt bien une cause réelle et sérieuse.
Enfin, rappelons que le licenciement pour insuffisance professionnelle ne peut intervenir sans démarche préalable de l’employeur, notamment lorsqu’une convention collective impose à ce dernier des tentatives de reclassement avant l’engagement d’une procédure de licenciement pour insuffisance professionnelle.
Le non-respect de cette obligation de tentative de reclassement rend alors le licenciement dépourvu de toutes causes réelles et sérieuses, en vertu d’une jurisprudence constante. (Cass. Soc 17 décembre 2014 n° 13–22.890)
Comment s’apprécient les aptitudes professionnelles du salarié ?
L’appréciation des aptitudes professionnelles du salarié relève du pouvoir patronal.
Le juge ne peut substituer son appréciation à celle de l’employeur notamment pour prétendre que ce dernier aurait eu la possibilité d’affecter le salarié à un autre poste.
Toute appréciation subjective de la situation par l’employeur est bannie.
La réalité de l’insuffisance doit être établie et être matériellement justifiée. Ainsi, l’insuffisance professionnelle doit reposer sur des faits réels et vérifiables, selon une jurisprudence constante en la matière.
Quels sont les éléments concrets vérifiables qui peuvent justifier le motif d’une insuffisance professionnelle ?
- Il peut s’agir, pour un représentant commercial, le fait de ne pas avoir atteint le quota fixé par son directeur commercial lorsque ledit quota était raisonnable et réaliste. (Cass. Soc 13 janvier 2004 n°01–45.931)
- Il peut s’agir, pour un comptable, le fait de commettre, en permanence, des erreurs et d’être incapable de s’adapter aux changements.
- Il peut s’agir, pour un salarié, du fait de ne pas faire face à une situation d’adaptation professionnelle en ne prenant pas en compte les évolutions techniques dans l’exécution de ses tâches.
Toutefois, la prise en compte du seul comportement du salarié ne peut permettre au juge d’en conclure un motif réel et sérieux.
Le comportement de l’employeur intéressera, aussi, le conseil de Prud’hommes ou la Chambre sociale de la Cour d’Appel.
À cette fin, les juges feront en sorte que les dispositions de l’article L 1221–1 du Code du travail qui disposent que le contrat de travail doit être exécuté de bonne foi soient respectées.
Le fait que le salarié n’a fait l’objet, avant son licenciement, de quelconques reproches, ou d’aucune sanction sera scrupuleusement examiné par le juge.
Le fait que le salarié a fait l’objet de félicitations ou a bénéficié d’une augmentation de salaires ou d’une prime pourra permettre au tribunal de constater une certaine contradiction dans le choix opéré par l’employeur.
Par là-même, les juges pourront être enclins à constater l’absence de toutes causes réelles et sérieuses du licenciement.
Il pourra être également apprécié la patience dont a fait preuve l’employeur et par la même sa bonne foi dans l’adaptation du salarié à ses conditions de travail.
C’est principalement l’éventuel détournement de pouvoir qui permettra au tribunal de constater que derrière une insuffisance professionnelle et le licenciement prononcé s’est cachée la volonté du chef d’entreprise de réaliser des économies sur la masse salariale.
Enfin, c’est l’obligation de l’employeur au maintien des capacités des salariés à occuper un emploi, au regard notamment de l’évolution des emplois, des technologies et des organisations prévues par l’article L 6321–1 du Code du travail qui incitera les juges à apprécier les efforts accomplis par l’employeur dans le cadre des formations professionnelles dues au salarié, et par là-même à apprécier la validité du licenciement.
A quelles conditions doit répondre le licenciement pour insuffisance professionnelle ?
Le licenciement pour insuffisance professionnelle doit reposer sur des éléments concrets et ne peut être fondé sur une appréciation purement subjective de l’employeur. (Cass. Soc. 6 juillet 1979 n° 77–40.168)
Les griefs retenus à l’encontre du salarié doivent donc être pertinents.
Principalement, l’insuffisance professionnelle, pour être constatée, doit se manifester dans les répercussions qu’elle a sur l’entreprise et notamment sur la perturbation de la bonne marche de celle-ci ou le fonctionnement du service.
Il n’est néanmoins pas nécessaire que l’insuffisance professionnelle du salarié ait entraîné un préjudice à l’entreprise.
Rappelons qu’il a été jugé que les griefs n’étaient pas suffisamment pertinents dès lors que l’employeur avait indiqué dans lettre de licenciement pour insuffisance professionnelle que la décision serait réformée si l’intèressé parvenait à rétablir la situation avant la fin de la période de préavis.
- Plusieurs éléments sont aussi pris en considération :
La qualification professionnelle du salarié,
L’ancienneté du salarié,
Les conditions de l’engagement,
La qualité de la relation professionnelle (notation du salarié, reproches, avertissements…)
Aucune faute n’est nécessaire.
La grande difficulté de la procédure de licenciement pour insuffisance professionnelle réside pour l’employeur à démontrer les éléments objectifs l’ayant conduit à procéder au licenciement.
L’employeur doit donc, non seulement rapporter la preuve de l’insuffisance professionnelle du salarié mais aussi du respect, par lui, de ses obligations et notamment de celles tenant à l’adaptation et la formation du salarié.
Les tribunaux apprécient, alors, principalement la période s’écoulant après la période d’essai ainsi que les longues périodes d’emploi qui incontestablement aurait dû permettre à l’employeur d’apprécier les compétences du salarié.
L’évaluation du salarié tout au long de l’année mais aussi le contexte dans lequel il a évolué (contexte qui peut avoir exposé sa santé) ne laisseront pas insensible le juge.
Le cas particulier de l’insuffisance de résultats
Lorsque les performances du salarié se jugent de façon quantitative, celles-ci sont bien souvent prévues par le contrat de travail.
Certains employeurs ont parfois tendance à considérer que dès lors que les objectifs ont été fixés et n’ont pas été respectés, le licenciement s’imposera au juge.
La réalité est toute autre : Le juge pourra passer outre les objectifs contractuels en considérant que ceux-ci n’ont pas été fixés de façon raisonnable et ne sont pas compatibles avec le marché.
Bien plus, il pourra examiner la situation afin de vérifier s’il a été donné au salarié les moyens d’atteindre les objectifs fixés par le contrat de travail et par là même, si le non-respect de ceux-ci lui est véritablement imputable.
Il peut y avoir aucune difficulté pour le chef d’entreprise à procéder au licenciement d’un salarié qui réalise un chiffre d’affaires très faible et qui ne peut être amélioré.
Toutefois la situation peut être différente, dès lors que le salarié connaît de mauvais résultats que dans une partie de son activité et obtient d’excellents résultats dans l’autre. (Cass soc. 27 mars 2013 n° 11–29.001)
En réalité, le juge s’attelle surtout à examiner si l’insuffisance de résultats ne trouve pas son fondement dans une cause extérieure à l’action du salarié.
Dans ce cas, les éléments de comparaison qui sont soumis au tribunal revêtent une certaine importance et le juge appréciera de pouvoir examiner la situation des collègues de l’intéressé dans un contexte semblable.
Distinction de l’insuffisance professionnelle avec l’inaptitude physique du salarié et l’impossibilité pour celui-ci d’accomplir normalement ses tâches
L’insuffisance professionnelle est sans rapport avec l’inaptitude physique.
L’insuffisance professionnelle se manifeste par les agissements du salarié et ses répercussions dans la bonne marche de l’entreprise sur le fonctionnement du service.
Dans le cadre d’une inaptitude physique, il est imposé à l’employeur une obligation de reclassement tandis que le salarié bénéficie, évidemment d’une protection particulière.
L’insuffisance professionnelle doit aussi être distinguée du licenciement pour cause réelle et sérieuse tenant à l’impossibilité pour le salarié d’exécuter son contrat de travail.
Tel est le cas d’un inspecteur commercial qui fait l’objet d’un retrait de permis de conduire. Dans ce cadre-là, le licenciement revêt alors une cause réelle et sérieuse mais est sans rapport avec l’insuffisance professionnelle. (Cass. Soc 31 mars 1998 n° 95–44.274)
La procédure de licenciement pour insuffisance professionnelle
Alors qu’antérieurement à l’ordonnance n° 2017–1387 du 22 septembre 2017, la lettre de licenciement devait être circonstanciée, pour tous les licenciements, le licenciement pour insuffisance professionnelle revêtait déjà une exception.
En effet, pour que la lettre de licenciement pour insuffisance professionnelle soit circonstanciée, il suffit à l’employeur d’invoquer le grief d’insuffisance professionnelle ; ce motif étant matériellement vérifiable, la lettre de licenciement est ainsi dûment motivée. (Cass. Soc 29 octobre 1997 n° 95–44.152)
La véritable difficulté réside dans les hésitations que peut commettre l’employeur à choisir ou à ne pas choisir le terrain disciplinaire.
À cette fin, il faut savoir que lorsque l’employeur s’est placé sur le terrain disciplinaire dans la lettre de licenciement, le tribunal saisi ne saurait requalifier le motif du licenciement. (Cass. Soc 17 janvier 2013 n°12–10.051)
Notons toutefois, que la Cour de cassation atténue la rigueur de ce principe en considérant que la notification d’avertissements disciplinaires ne le prive pas de la possibilité d’engager une procédure de licenciement pour insuffisance professionnelle.
« Attendu cependant que la circonstance que des avertissements disciplinaires antérieurs ont été notifiés aux salariés pour des faits liés à l’exercice de ses fonctions ne prive pas l’employeur de la possibilité de licencier le salarié en invoquant son insuffisance professionnelle, pour des faits nouveaux de même nature. »
(Cass. Soc 15 septembre 2009 n°07–43.478)
Concrètement, quelles preuves rassembler ?
Bien souvent, il arrive que le dossier constitué à l’encontre des salariés ne comporte que les avertissements notifiés.
Pour autant, cela ne saurait, à lui seul, influer sur la décision des juges des lors que le contexte permet une juste appréciation de la situation.
Quelles sont les preuves qu’appréciera particulièrement le Conseil de Prud’hommes ?
- Les chiffres : il s’agit de l’élément incontournable pour apprécier la compétence des commerciaux et les cadres dirigeants. Le non-respect d’objectifs devra être durable et significatif. Les éléments de comparaison avec les autres salariés sont également incontournables.
- Les pièces attestant des erreurs commises par le salarié : Elles devront être nombreuses et significatives pour permettre d’apprécier l’insuffisance professionnelle du salarié.
- Les courriels : Les échanges sur l’insuffisance professionnelle ne doivent laisser aucun doute sur la patience de l’employeur mais aussi sa ferme volonté à y mettre un terme.
- Les réclamations et plaintes des clients,
- Les comptes rendus des entretiens annuels d’évaluation,
- Les comptes-rendus de réunions de travail,
- Les attestations des salariés ayant côtoyé l’intéressé,
- Les audits…
Cette liste, qui n’est pas exhaustive, atteste du large pouvoir d’appréciation du Conseil de Prud’hommes et de la Cour d’appel pour décider de la validité d’un licenciement pour insuffisance professionnelle.