Les biens insaisissables de l’entrepreneur
Les entrepreneurs bénéficient, à présent, de deux sortes d’insaisissabilité de leur bien immobilier :
D’une part, l’insaisissabilité de droit de leur résidence principale définie par la loi du 6 août 2015 N°2015-990 dite loi MACRON et, d’autre part, l’insaisissabilité d’autres biens immobiliers par le biais d’une déclaration d’insaisissabilité prévue par Loi du 1er août 2003 n°2003-721.

L’insaisissabilité de la résidence principale
Depuis la loi du 6 août 2015 N°2015-990 dite loi MACRON, la résidence principale de l’entrepreneur est insaisissable de droit. C’est l’alinéa 1 de l’article L526-1 du Code de commerce qui vient désormais prévoir cette disposition :
« Par dérogation aux articles 2284 et 2285 du code civil, les droits d’une personne physique immatriculée à un registre de publicité légale à caractère professionnel ou exerçant une activité professionnelle agricole ou indépendante sur l’immeuble où est fixée sa résidence principale sont de droit insaisissables par les créanciers dont les droits naissent à l’occasion de l’activité professionnelle de la personne. Lorsque la résidence principale est utilisée en partie pour un usage professionnel, la partie non utilisée pour un usage professionnel est de droit insaisissable, sans qu’un état descriptif de division soit nécessaire. La domiciliation de la personne dans son local d’habitation en application de l’article L. 123-10 du présent code ne fait pas obstacle à ce que ce local soit de droit insaisissable, sans qu’un état descriptif de division soit nécessaire. »
Quelles conditions pour en bénéficier ?
Les personnes physiques, bénéficiaires de la protection légale, sont donc :
- Les personnes inscrites à un registre de publicité légale à caractère professionnel. Ce sera généralement le cas de l’inscription au Registre du Commerce et des Sociétés mais cela peut être également une inscription au répertoire des métiers.
- Les personnes exerçant une activité agricole.
- Les personnes exerçant une activité indépendante.
Les biens bénéficiant de cette protection sont l’ensemble des droits que la personne physique protégée a sur l’immeuble où est sa résidence principale. Cela exclut tout autre bien tel que la résidence secondaire ou un bien locatif.
Deux cas particuliers sont envisagés par le texte :
- Lorsque la résidence principale est utilisée également pour l’activité professionnelle : il convient alors de séparer ce qui est utilisé professionnellement de ce qui ne l’est pas ; tout le reste étant, néanmoins, insaisissable.
- Lorsque la personne domicilie son activité professionnelle dans sa résidence principale : cela n’empêche pas cette dernière d’être insaisissable.
Les enjeux de cette nouvelle protection
Les dettes à l’encontre desquelles la protection va jouer seront toutes les dettes nées du fait de l’activité professionnelle de l’entrepreneur.
Le but poursuivi par le législateur est protéger le patrimoine personnel de l’entrepreneur individuel et ce, afin d’encourager l’entrepreneuriat. Le titre de la loi qui contient cette disposition traduit parfaitement cet objectif : « Loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques ».
Cette insaisissabilité de droit permet d’éviter le recours complexe pour nombre d’entrepreneurs, à :
- La création d’une société
- D’une déclaration d’insaisissabilité
- L’entreprise individuelle à responsabilité limitée.
Les limites de cette protection
Il est à noter que cette insaisissabilité est personnelle c’est à dire qu’elle disparaît au décès de la personne physique protégée. Conséquences importantes : les héritiers ne peuvent se prévaloir de cette protection.
Ce régime d’insaisissabilité de la résidence principale, protecteur s’il en est, a été critiqué. En effet il a pour conséquence de réduire l’accès au crédit pour l’entrepreneur, ou, s’il ne le supprime pas totalement, risque d’en réduire le montant.
Il convient d’expliquer, ici, le mécanisme de cet effet pervers :

Le banquier, ou tout autre prêteur, va se trouver devant un entrepreneur qui va, dans le cadre de son activité professionnelle, solliciter un prêt. Le prêteur de deniers saura alors qu’il ne pourra pas, dans l’hypothèse où son débiteur ne peut plus rembourser ses dettes, saisir la résidence principale de l’entrepreneur. Il va donc revoir le montant de son concours en conséquence. Or, il est fréquent que dans le cas d’entrepreneur individuel ce dernier ne possède en réalité rien d’autre comme biens que sa résidence principale. Il s’agit ainsi d’un véritable frein au crédit et … d’un régime devant favoriser l’entreprenariat, on aboutit à l’effet inverse.
C’est pourquoi la loi du 6 août 2015 N°2015-990 dite loi MACRON donne la possibilité à l’entrepreneur de renoncer au bénéfice de cette insaisissabilité.
Cette renonciation peut être totale et concerner, alors, tous les créanciers de l’entrepreneur, ou être partielle, et elle ne bénéficier qu’ à un créancier désigné.
La renonciation devra prendre la forme d’une demande d’inscription modificative dans le registre de publicité légale.
Les établissements bancaires seront très demandeurs d’une telle renonciation de la part de l’emprunteur et conditionneront le plus souvent leur concours financier à cette renonciation. Pour l’entrepreneur, l’existence d’une telle renonciation, si elle lui fait certes courir un risque financier, aura l’avantage de lui faire prendre conscience de l’ampleur des enjeux que son activité professionnelle engendre.
A côté de cette protection légale, l’entrepreneur va pouvoir protéger son patrimoine en ayant recours à une déclaration d’insaisissabilité.
La déclaration d’insaisissabilité

L’insaisissabilité légale, prévue à l’article L526-1 du Code de commerce, de la résidence principale ne porte que sur cette dernière.
L’entrepreneur peut, pour exclure d’autres biens (tel que sa résidence secondaire) d’une éventuelle saisie, faire une déclaration d’insaisissabilité prévue par Loi du 1er août 2003 n°2003-721.
En quoi consiste la déclaration d’insaisissabilité ?
Cette déclaration est faite à peine de nullité devant notaire et déclaration peut porter sur tout bien du patrimoine individuel non affecté à un usage professionnel. Il va pouvoir s’agir de biens bâtis et non bâtis.
La déclaration fait ensuite l’objet d’une publication au bureau des hypothèques, au registre du commerce et d’une annonce légale.
Une fois ces démarches accomplies, la déclaration prend pleinement effet. Le ou les biens visés par cette dernière ne sont alors plus saisissables par les créanciers professionnels titulaires d’une créance postérieure à la publication.
La déclaration d’insaisissabilité rend impossible la vente du bien faisant l’objet de la déclaration. Le bien est exclu de la procédure collective. Le liquidateur ne peut plus agir sur ce bien pour le compte des créanciers.
Il ne peut d’avantage exercer une action paulienne pour faire juger le fait que la déclaration du débiteur lui serait inopposable.
Une limite toutefois : Si le bien ne peut être saisi, il peut, toutefois, faire l’objet d’une hypothèque judiciaire à titre conservatoire.
Le juge commissaire ne peut, de la même façon, ordonner la vente du bien.
Le liquidateur est-il en droit de contester la validité de la publication de la déclaration ? Évidemment, il le pourra, il en aura, même, l’obligation dans l’intérêt des créanciers, dés lors qu’il considèrera que les chances d’entendre juger la déclaration inopposable sont réelles.
Il est à noter que le droit des procédures collectives vient prévoir, à l’article L632-1 I 12° du Code de commerce, une nullité de la déclaration d’insaisissabilité réalisée postérieurement à la date de cessation des paiements ou pendant la période suspecte :
« I. Sont nuls, lorsqu’ils sont intervenus depuis la date de cessation des paiements, les actes suivants :
(…)
12°La déclaration d’insaisissabilité faite par le débiteur en application de l’article L.526-1.
1.Le tribunal peut, en outre, annuler les actes à titre gratuit visés au 1° du I et la déclaration visée au 12° faits dans les six mois précédant la date de cessation des paiements. »
La date de cessation des paiements est définie comme l’instant où l’actif disponible du débiteur ne lui permet plus de faire face à son passif exigible. Cette date est fondamentale en matière de procédure collective : la période de six mois avant cette date a un caractère suspect.
La déclaration d’insaisissabilité, par les effets qu’elle engendre, est ainsi encadrée pendant la période suspecte : il appartiendra au juge de se prononcer sur son sort. Elle ne pourra servir d’outil de protection du sort de l’entrepreneur au détriment de ses créanciers.
Quid des parts de Société Civile Immobilière (SCI) ?
Si l’entrepreneur est propriétaire de parts de SCI, bénéficiera-t-il alors de la protection légale relative à la résidence principale ? Pourra-t-il faire une déclaration d’insaisissabilité sur ce bien ?
En ce qui concerne l’insaisissabilité légale de la résidence principale, elle ne pourra pas jouer, le texte visant « les droits sur l’immeuble ». Or, en tant que propriétaire de parts de SCI, l’entrepreneur n’a plus de droit sur l’immeuble mais des droits sur les parts sociales de la société civile, qui, elle, possède des droits sur l’immeuble. Il existe, ainsi, un écran qui empêche l’entrepreneur de se prévaloir de la protection légale.
Le même raisonnement doit être appliqué en matière de déclaration d’insaisissabilité. Une réponse ministérielle est venue confirmer que la déclaration d’insaisissabilité ne pouvait porter sur un immeuble détenu par une SCI (Réponse ministérielle n°52819 JOAN Q 5 avril 2005).
Un choix éclairé devra donc être pris par l’entrepreneur lorsqu’il aura recours à la constitution d’une SCI ; SCI qui pourra l’empêcher de bénéficier de la protection légale de sa résidence principale et d’autres biens dont il est propriétaire.