La notion du déséquilibre significatif apparaît dans plusieurs matières en droit. Elle apparaît, notamment dans le Code de commerce en tant que notion centrale du contrôle des pratiques restrictives de concurrence. Ainsi, l’article L 442-1, I, 2° du Code de commerce énonce que le fait de « soumettre ou de tenter de soumettre l’autre partie à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties » engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice qui en résulte.
De même, l’article L 212-1 du Code de la consommation prévoit que les clauses abusives créant un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties insérés dans les contrats entre professionnels et consommateurs sont réputées non écrites. La même sanction est prévue par l’article 1171 du Code civil, lorsqu’une clause non négociable, déterminée à l’avance par l’une des parties, crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties.

Cependant, la notion de déséquilibre significatif de l’article L 442-1, I, 2° du Code de commerce bénéficie d’une autonomie par rapport aux dispositions du code de la consommation et du code civil. En effet, l’article L 442-1, I, 2° du code de commerce vise à sanctionner le déséquilibre significatif en tant que pratique restrictive de concurrence dans les relations commerciales et à réparer le préjudice qui en résulte, tandis que les dispositions du Code de la consommation et du Code civil visent à supprimer du contrat les clauses abusives créant le déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties par le recours au « réputé non écrit ».
Le déséquilibre significatif dans le droit de commerce
En droit du commerce le déséquilibre significatif est sanctionné en tant qu’une pratique restrictive de concurrence. Ainsi, l’article L 442-1, I, 2° du Code de commerce prévoit que :
« I. – Engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, dans le cadre de la négociation commerciale, de la conclusion ou de l’exécution d’un contrat, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services :
2° De soumettre ou de tenter de soumettre l’autre partie à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties. »
Le champ d’application
Tout d’abord, il convient de préciser que la sanction du déséquilibre significatif ne s’applique qu’aux contrats conclus à compter de l’entrée en vigueur de la loi du 4 août 2008, sauf s’ils ont été renouvelés ou ont fait objet d’une reconduction tacite. Et les modifications apportées par l’ordonnance du 24 avril 2019, soit l’article L 442-1, I, 2° du Code de commerce, dans sa rédaction issue de l’ordonnance précité est applicable aux contrats conclus ou renouvelés à compter du 26 avril 2019.
Le texte en question s’applique en présence des relations commerciales et exclu les relations de nature civile. Est concerné, majoritairement le secteur de grande distribution. Comme l’article L 442-1, I, 2° du Code de commerce vise les activités de production, de distribution ou de services, tous les secteurs d’activité peuvent être concernés : il peut s’agir des relations entre fournisseurs et distributeurs, des relations en matière de sous-traitance, de fourniture d’énergie, de prestation de service, etc.
Par ailleurs, le champ d’application de ce texte est large puisqu’il englobe toutes les phases de la relation commerciale, notamment la négociation commerciale, la conclusion et l’exécution du contrat.
Concernant l’auteur de la pratique, il peut s’agir de « toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services ». Le secteur banquier et financier a été exclu par la jurisprudence, toutefois, la nouvelle rédaction de l’article pourrait changer la donne, de même qu’en ce qui concerne le bail commercial, la notion de partenaire commercial ayant été remplacée par l’ordonnance du 24 avril 2019. En effet, concernant la victime, elle est désignée désormais comme « l’autre partie » ce qui étend le champ d’application du texte.
Les conditions d’application
Les conditions d’application sont au nombre de deux ; le texte exige d’une part la soumission ou tentative de soumission et d’autre part des obligations créant un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties. Le juge doit donc contrôler le contenu du contrat mais aussi le contexte économique général du contrat.
1) La soumission ou tentative de soumission
Selon la jurisprudence, la soumission consiste « à faire peser ou tenter de faire peser sur un partenaire commercial, du fait du déséquilibre du rapport de force existant entre les parties, des obligations injustifiées et non réciproques » (CA Paris, 1er oct. 2014, n° 13/16336). Ce qui veut dire que ce n’est pas l’état de faiblesse de l’autre partie qui est pris en compte mais l’action mise en œuvre pour obtenir un avantage. L’abus d’un étant de dépendance pour obtenir un avantage excessif ne peut être assimilé au fait de soumettre l’autre partie à un déséquilibre significatif. Ainsi, la jurisprudence a précisé que « la soumission ou tentative de soumission n’est pas subordonnée à des pressions ou des contraintes, elle résulte de l’insertion même de ces clauses » (Cass. com., 26 avr. 2017, n° 15-27865). Toutefois, de tels comportements peuvent être pris en compte pour en déduire l’absence de négociation effective. Puisqu’en effet, la soumission s’analyse par rapport au pouvoir de négociation des parties ; en l’absence de preuve d’une négociation effective la soumission sera caractérisée (Cass. com., 27 mai 2015, n° 14-11.387).
Le fait de soumettre ou de tenter de soumettre est un critère subjectif et nécessite d’apprécier le comportement des parties. En raison des difficultés probatoires qui peuvent survenir, les juges peuvent recourir aux présomptions et à la technique du faisceau d’indices. Il existe d’ailleurs, une présomption de soumission lorsque l’auteur de la pratique bénéficie d’une puissance économique qui lui permet d’imposer sa volonté dans la négociation (Cass. com., 4 oct. 2016, n° 14-28. 013). Mais le constat de ce rapport de force ne suffit pas, il faut également la preuve d’absence de possibilité de négociation (CA Paris, 21 juin 2017, n° 15/18784).
La soumission résulte des clauses contractuelles mais aussi des pratiques entre les partenaires commerciaux (CA Paris, 16 mai 2018, n° 17/11187) alors même que ces pratiques ne sont pas expressément prévues dans le contrat liant les parties (Paris, 16 mai 2018, RG n° 17/11187). Toutefois il faut que ces pratiques soient effectivement « imposées et de nature à créer un déséquilibre entre les droits et obligations des parties » (Paris, 29 mars 2018, RG n° 15/09798). En présence des conventions écrites pré rédigées par exemple, des « modifications mineures ne peuvent suffire à établir la négociation et donc l’absence de soumission » (CA Paris, 19 avr. 2017, n° 15/24221). Le juge peut se référer au contexte de la relation, notamment à la structure du marché au sein duquel la relation est nouée ; ce qui peut constituer un indice de l’existence d’un rapport de force déséquilibré, mais cet indice doit être complété par d’autres indices démontrant l’absence de négociation effective.
2) L’existence des obligations créant un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties
Il convient de préciser que le déséquilibre doit atteindre un certain niveau de gravité, seule un déséquilibre significatif est sanctionné. En effet, des nombreuses clauses sont susceptibles d’affecter l’équilibre du contrat, pour autant elles ne peuvent amener à la sanction. Ainsi, à partir du moment où l’équilibre du contrat est affecté dans les limites raisonnables de négociation, le déséquilibre significatif n’est pas caractérisé.

Certains critères permettant de caractériser le déséquilibre significatif sont inspirés du droit de la consommation. Tel est le cas de l’absence de réciprocité. Dans ce cadre, le juge doit rechercher la disproportion entre les droits et obligations des parties. Il doit vérifier que les clauses n’offrent pas des prérogatives unilatérales à une partie sans compensation par un pouvoir similaire pour l’autre partie. A défaut, cette absence de réciprocité dans les obligations des parties constitue un déséquilibre significatif (Cass.com., 12 avr. 2016, n° 13-27.712).
Le critère spécifique en droit du commerce caractérisant le déséquilibre significatif réside dans la possibilité d’analyse de l’équilibre économique du contrat en prenant en considération l’équilibre économique de l’opération. En effet, le déséquilibre significatif est apprécié au regard du contexte et ne suppose pas la recherche des effets du déséquilibre. La seule existence des obligations créant un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties suffit (Cass. com., 3 mars 2015, n° 14-10.907). Comme le contexte contractuel est pris en compte dans son ensemble, le déséquilibre peut résulter également de l’analyse des clauses du contrat au regard d’autres conventions existantes entre les parties.
Le contrôle du juge portant sur l’équilibre économique de la relation, la jurisprudence sanctionne le déséquilibre économique en tant que tel et contrôle le prix (Cass. com., 25 janv. 2017, n° 15-23547). De plus, le Conseil Constitutionnel, dans sa décision n° 2010-85 QPC du 13 janvier 2011 a précisé que le déséquilibre significatif peut résulter d’une inadéquation du prix et donc le juge peut contrôler le prix, « dès lors que celui-ci ne résulte pas d’une libre négociation et caractérise un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ».
De ce fait les clauses relatives à la remise en cause du prix ou à son paiement font objet d’une jurisprudence abondante. C’est le cas notamment du versement d’acompte, qui doit être proportionné et intervenir en temps utile. Ainsi, « la pratique consistant à prévoir le versement d’acompte à la charge du fournisseur au titre de prestations réalisées par le distributeur alors que celui-ci n’a encore procédé à aucun achat » est constitutive du déséquilibre significatif (Cass.com., 25 janv. 2017, n° 15-23.547). De même, les clauses sur les délais de paiement dissymétriques entre les parties créent un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties (Cass. com., 4 oct. 2016, n° 14-28.013).
Le déséquilibre significatif peut également résulter des clauses visant les modalités de révision ou les conditions d’application de la révision dès lors qu’elles sont unilatérales. De même, les clauses relatives aux recours en justice peuvent constituer dans certains cas un déséquilibre significatif. C’est le cas notamment, lorsque la clause prévoit la renonciation par le fournisseur à faire valoir son droit à la répétition de l’indu, en cas décision de justice à l’encontre du distributeur (CA Paris, 18 sept. 2013, n° 12/03177).
Par ailleurs, les clauses abusives au sens du droit de la consommation sont susceptibles de constituer un déséquilibre significatif (CA Paris, 18 sept. 2013, n° 12/03177). Tel est le cas lorsqu’une clause offre la possibilité pour une partie de modifier unilatéralement les tarifs ou les conditions contractuelles (Cass. com. 29 sept. 2015, n° 13-25.043).
Enfin, concernant charge de la preuve, il faut savoir qu’il incombe à la victime-demandeur d’apporter la preuve que les clauses du contrat sont de nature à créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties. Et il revient au défendeur d’apporter la preuve contraire, c’est à dire d’apporter la preuve de l’équilibre général du contrat.
Les sanctions
L’article L 442-4, I du Code de commerce prévoit que « Pour l’application de l’article L 442-1, l’action est introduite devant la juridiction civile ou commerciale compétente par toute personne justifiant d’un intérêt » il peut s’agir notamment du président de l’Autorité de la concurrence « lorsque ce dernier constate, à l’occasion des affaires qui relèvent de sa compétence, une pratique mentionnée aux articles précités ».
L’article L 442-1, I, 2° du Code de commerce prévoit la responsabilité civile de l’auteur du déséquilibre significatif. La victime peut donc obtenir des dommages et intérêts en guise de réparation de son préjudice.
La Commission d’examen des pratiques commerciales a précisé, dans ce cadre, que « la victime a la possibilité, à la fois, d’agir en nullité de la clause ou du contrat illicite et d’engager la responsabilité civile de l’auteur de la pratique » (CEPC, 23 janv. 2014, avis n°14-02). Autrement dit, un cumul est à priori admit. Toutefois, la Cour de cassation rejette les actions en nullité et considère les clauses litigieuses réputées non écrites (Cass. com., 24 mai 2017, n° 15-18.484).

Le ministre de l’Economie et le ministère public disposent également d’une action sur le fondement de l’article L 442-1, I, 2° du Code de commerce.
Dans ce cadre, le juge peut prononcer la réparation du dommage causé, ainsi que la nullité des clauses ou du contrat illicite et la restitution des sommes indûment perçues en exécution des pratiques. Il peut également ordonner la publication de la décision, la cessation des pratiques ou encore prononcer une amende civile.
Le déséquilibre significatif en droit de la consommation
L’article L 212-1 du Code de la consommation dispose que : « Dans les contrats conclus entre professionnels et consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. »
« L’appréciation du caractère abusif des clauses au sens du premier alinéa ne porte ni sur la définition de l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation du prix ou de la rémunération au bien vendu ou au service offert pour autant que les clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible. »
Malgré des similitudes des notions de déséquilibre significatif en droit de la consommation et droit du commerce, selon le Conseil Constitutionnel « il existe des différences de régimes tenant aux objectifs poursuivis par le législateur dans chacun de ces domaines, en particulier quant à la catégorie des personnes qu’il a entendu protéger et à la nature des contrats concernés ».
Dès lors, en raison de différences de régimes le conflit d’application entre le droit de la consommation et le droit de commerce est limité. Ces différences de régimes résultent notamment du champ d’application des textes, ainsi que de la différence d’appréciation du déséquilibre significatif.
Un champ d’application différent
L’article L 212-1 du Code de la consommation vise les contrats conclus entre les professionnels et consommateurs. C’est la qualité des parties au contrat qui détermine le champ d’application du texte.
Le professionnel est défini comme toute personne physique ou morale qui agit dans le cadre de son activité professionnelle, qu’elle soit publique ou privée.
Quant au consommateur, il est défini comme « toute personne physique qui agit à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole ».
Le consommateur est considéré en situation d’infériorité à l’égard du professionnel du fait du pouvoir de négociation et du niveau d’information de ce dernier, ce qui conduit le consommateur à adhérer aux conditions pré rédigées par le professionnel (CJUE 30 mai 2013, Asbeek Brusse et de Man Garabito, aff. C-488/11). A ce titre, le consommateur est « la catégorie des personnes » qui doit être protégée.
Il résulte de ces définitions que tout type de contrat peut être concerné.
Le texte s’applique à partir du moment où un professionnel contracte avec un consommateur.
Sont donc exclus les contrats de travail, les contrats relatifs aux droits successifs, au statut familial ainsi qu’aux statuts de société.
La différence d’appréciation du déséquilibre significatif
L’appréciation du déséquilibre significatif en droit de la consommation diffère de celle en droit du commerce.
Tout d’abord il n’existe pas catégorisations du déséquilibre significatif en droit du commerce comme en droit de la consommation.
Autrement dit il n’y pas, en droit du commerce de liste des clauses abusives interdites.
Ensuite contrairement au droit du commerce, le déséquilibre significatif en droit de la consommation ne peut résulter de la définition de l’objet principal du contrat ni de l’inadéquation du prix.
Il est donc interdit au juge de contrôler le prix et l’équilibre financier du contrat.
Le déséquilibre significatif en droit commun
L’ordonnance du 10 février 2016 a introduit dans le Code civil l’article 1171 lequel permet d’écarter une clause créant un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties.
Ainsi, l’article 1171 du Code civil dispose que « Dans un contrat d’adhésion, toute clause non négociable, déterminée à l’avance par l’une des parties, qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite.
L’appréciation du déséquilibre significatif ne porte ni sur l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation du prix à la prestation. »
De nouveau, tout comme en droit de la consommation, le champ d’application de ce texte est différent de celui de l’article L 442-1, I, 2° du Code de commerce, ainsi que la méthode d’appréciation du déséquilibre significatif.
Le champ d’application différent
Le champ d’application de l’article L 442-1, I, 2° du Code de commerce est beaucoup plus large que celui du droit commun. En effet, le droit commun vise uniquement les contrats d’adhésion.
Cependant, à la différence du droit de commerce, le champ d’application de l’article 1171 du Code civil s’étend en principe à l’ensemble des parties quelle que soit leur qualité.
Toutefois, son application peut être exclue pour certaines catégories des contrats en raison des dispositions spéciales qui les régissent.
Dans ce cadre, la Commission des lois du Sénat a justement précisé dans son rapport que « ce dispositif instauré dans le droit commun des contrats n’a pas vocation à s’appliquer dans les champs déjà couverts par des droits spéciaux ».

La différence d’appréciation du déséquilibre significatif
Tout comme en droit de la consommation, l’appréciation du déséquilibre ne porte ni sur l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation du prix. L’article 1171 du Code civil ne permet pas au juge de contrôler l’économie du contrat.
Concernant la sanction prévue par l’article 1171 du Code civil, il s’agit du réputé non écrit de la seule clause litigieuse du contrat.
La consultation d’un avocat peut être utile afin de se prévaloir d’un déséquilibre significatif.
Le cabinet Emmanuel PARDO est à votre disposition dans le cadre de toutes procédures judiciaires destinées à faire respecter vos droits.
AVERTISSEMENT : Cet article a pour unique objet d’intéresser l’internaute sur une question juridique. Il n’a aucun caractère exhaustif et sa lecture ne saurait se substituer à l’indispensable consultation d’un professionnel du droit, tel qu’un avocat, à même d’appréhender les spécificités d’une situation factuelle.